Etienne Hatt

Entretien pour L’Effet B/K, 2015

L’Effet B/K

Félix Pinquier réalise des sculptures qui, en dépit de leur statisme et de leur mutisme, ont un caractère dynamique et sonore. Le paradoxe n’est qu’apparent. Fasciné par les phénomènes synesthésiques*, l’artiste explore et exploite les capacités de suggestion multisensorielle des formes et des couleurs. Il obtient, par moulage et assemblage, des objets synthétiques et ambigus. Leur utilité est immédiatement déniée par leur échelle ou leur incomplétude, mais ces machines absurdes ne cessent d’exercer sur le spectateur un fort pouvoir d’évocation. Elles renvoient tantôt à une partition ou à une rythmique, tantôt à un instrument de musique ou à un dispositif sonore. Un soufflet fait alors penser à un accordéon tandis que des formes évasées évoquent le pavillon d’une trompette ou l’évent d’un haut-parleur. Ces motifs récurrents soulignent l’importance de l’air et de son déplacement dans la production du son. Ce thème central de l’œuvre de Félix Pinquier, que l’artiste cherche à matérialiser, est également au cœur d’une série de dessins de « dirigeables » réalisés d’après des cartes postales anciennes dont ils reprennent les points de vue basculés et les mises en pages décentrées. Les volumes sont, là encore, simplifiés, presque rendus dysfonctionnels pour focaliser l’attention sur les masses d’air en mouvement. L’introduction de la couleur, jusqu’alors négligée au profit d’un chromatisme brut et neutre, a récemment enrichi ce travail sur le son. Le jaune, qui est pour l’artiste, avec un vert acide, la seule couleur sonore correspondant à sa production, est présent dans ses œuvres ou vibre avec elles dans l’exposition. Ici, déposée en aplat ou révélée dans les couches de matière, la couleur souligne que les recherches de sculpteur de Félix Pinquier ne peuvent, après avoir trouvé un écho dans le dessin, plus faire l’économie d’une pratique de la peinture.

Étienne Hatt


Interview par Étienne Hatt

Comment avez-vous abordé la résidence au centre d’art La Traverse que l’exposition L’Effet B/K conclut ?

Le programme de cette résidence étant très libre, elle s’est très facilement inscrite dans mon processus de production. J’ai, en effet, pour habitude de ne pas travailler dans la perspective d’un projet spécifique, comme une exposition, mais de développer, simultanément et en continu, des recherches différentes sans forcément penser à leur cohérence d’ensemble ou à leur finalité. Une exposition comme L’Effet B/K est ainsi un arrêt sur image de ce « work in progress », un état des lieux de mes recherches.

Il n’est pourtant pas anodin de pouvoir travailler plusieurs semaines dans le lieu même de sa future exposition.

C’est bien sûr un privilège. On multiplie les essais, on suit ses intuitions – ce qui est essentiel pour moi qui suis très intuitif –, on fait dialoguer les œuvres et on aménage les espaces tout en se laissant le temps du diagnostic. J’intègre ainsi les contraintes du lieu mais ne produis pas les œuvres en fonction d’elles. Ma pratique ne relève, en effet, pas de l’in situ. Mes objets sont autonomes les uns par rapport aux autres et par rapport aux lieux de leur présentation. L’exposition comprend d’ailleurs des pièces anciennes qui trouvent ici une nouvelle existence. De la même manière, les objets produits dans le cadre de cette résidence seront réutilisés dans d’autres contextes. C’est, en revanche, la manière d’agencer les œuvres dans ce lieu qui est spécifique.

À quels nouveaux développements dans votre travail cette résidence correspond-elle ?

J’ai, par exemple, finalisé à La Traverse des pièces initiées il y a quelques mois dans ce matériau nouveau pour moi qu’est la résine. Jusqu’à présent, je produisais la plupart de mes sculptures en coulant du plâtre ou du ciment dans des moules. Les formes obtenues étaient pleines, la notion de volume prédominait et les surfaces restaient brutes. La résine, qui est travaillée en strates, rapproche, quant à elle, la sculpture de la peinture et donne à la surface une importance inédite dans ma pratique. Je la lisse et la régularise, la peins à la bombe. Il m’arrive même de la poncer pour faire ressortir les couches inférieures de résine, d’enduit et de peinture. C’est une démarche nouvelle pour moi qui étais attaché à la « vérité du matériau », pour reprendre cette expression des avant-gardes, et n’avais jamais abordé de manière aussi frontale la question de la peinture et du tableau.

Comment s’organisent les différents espaces de l’exposition ?

Chacune des salles du centre d’art est pensée comme un tout cohérent, mais des éléments dialoguent d’un espace à l’autre et créent une continuité. La salle principale est sans doute la plus explicite. Sa cohérence est sonore. Elle est organisée autour de Station (2013), en métal et en cuir, qui évoque à la fois le soufflet d’un accordéon et le pavillon d’une trompette. Cette pièce rappelle que, notamment pour moi qui suis trompettiste, le son est avant tout question de souffle. Lui répondent notamment Sans titre (relief), un moulage en plâtre de 2014 qui renvoie aux murs insonorisés, et Cluster, 2015, cette grande pièce en résine qui peut faire penser à des haut-parleurs. Les autres salles sont plus énigmatiques. Par exemple, dans l’une, où, là encore, je réunis des objets anciens et une pièce en résine, je me suis intéressé à leur pouvoir optique. La pièce en résine peut d’ailleurs faire penser à un tube cathodique et sa surface à un écran. Dans une autre, j’ai réutilisé une plate-forme pour constituer une structure qui court du sol au plafond sur laquelle sont fixés des objets. La plate-forme est plus qu’un socle. Elle crée un espace dans l’espace qui, ici, fait écho au dessin en triptyque qui, lui aussi, conjugue des éléments de natures très différentes et essaie d’établir une sorte de syntaxe visuelle.

Le titre de l’exposition, L’Effet B/K, est aussi des plus énigmatiques. À quoi renvoie-t-il ?

L’Effet B/K fait référence à « l’effet Bouba/Kiki », une expérience selon laquelle la plupart des individus auxquels sont présentées deux formes, l’une ronde et l’autre pointue, associent la ronde avec le mot « Bouba » et la pointue avec le terme « Kiki ». Cette expérience montre les correspondances qui réunissent des informations fournies par des sens différents, en l’occurrence l’ouïe et la vue. Elle m’intéresse car elle rejoint mes recherches sur la synesthésie et mon désir d’exprimer le son par des formes apparemment silencieuses.